Urgence écologique : quel impératif éthique pour la recherche architecturale? // Mathias Rollot

Article rédigé par Mathias Rollot à l’occasion des Rencontres interdisciplinaires Mutations 2, mars 2021

Introduction. « L’urgence écologique » et ses conséquences

«  Tout phénomène est lié à la crise environnementale (…). Cette crise fait de la planète un navire en train de sombrer. Il serait futile, voire obscurantiste, d’étudier quoi que ce soit à bord de ce navire en faisant abstraction du naufrage. De même, il est tout aussi impératif de montrer en quoi ce qu’on étudie peut aider à sauver le navire » Ghassan Hage[1]

« La façon dont nous réagissons aujourd’hui à la crise environnementale dessinera les contours des millénaires à venir. » Margaret Klein Salamon[2]

« La césure qu’impliquent ces postulats est tellement profonde que l’on est en droit d’avoir recours à de grandes analogies : le changement de pensée exigé des hommes du XXIe siècle va plus loin que les réformes du XVIe, dans lesquelles ont tout de même été révisées les règles de la circulation entre la Terre et le Ciel » Peter Sloterdijk[3]

2020 : l’extermination de masse[4] du vivant bat son plein : les estimations considèrent qu’il reste 15 ans à vivre aux récifs coralliens des Caraïbes et qu’au rythme actuel l’Amazonie sera entièrement déforestée dans 50 ans[5] ; l’Europe a perdu 80 % de ses insectes au cours des trois dernières décennies[6] ; un tiers des oiseaux ont disparus des campagnes françaises en quinze ans[7]. Tandis qu’un fort changement de mentalité et une réduction majeure des émissions polluantes en vue de respecter les engagements les plus contraignants à ce jour nous placerait tout de même sur une trajectoire de réchauffement global de +3°C[8], il paraît tout à fait crédible d’affirmer qu’un réchauffement global de plus de 5°C « ne peut plus être exclu si l’emballement actuel des émissions de gaz à effet de serre se poursuit », une température à laquelle « l’habitabilité » de la France serait largement « remise en question »[9]. Dix espèces s’éteignent chaque jour[10]. Et bientôt, sans doute, la nôtre[11]. Comment expliquer, dans ce contexte, que la recherche académique puisse encore être poursuivie sur des sujets entièrement déconnectés de ces enjeux ? Que les acteurs de la recherche universitaire puissent continuer, pleinement décomplexés, à revendiquer leur liberté de choix de sujet ? Est-il possible de considérer qu’en pareils cas de figure nous sommes en présence d’une forme de « non-assistance à planète en danger » ?

Enquêtant à la fois depuis et sur les milieux de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage, le présent article travaille à déconstruire neuf « stratégies cognitives de fuite » face à l’impératif éthique posé par la situation environnementale actuelle, avant de tirer les conclusions éthiques et politiques qui s’imposent. Ce faisant, la démonstration voudrait tenter d’expliquer la large non-prise en compte des enjeux environnementaux dans la recherche en architecture – ou plutôt, d’expliciter et déconstruire quelques-unes de ses causes probables.

Cette recherche est à lire au filtre de l’actualité nationale et internationale sur le sujet des « Déclarations d’urgence climatique » : de la déclaration par le Royaume-Uni le 1er mai 2019 à celle du Parlement européen le 28 novembre, en passant par les quelques « 1174 assemblées compétentes dans 23 pays » et les « réseaux représentant plus de 7000 institutions consacrées à l’éducation »[12] qui ont d’ores et déjà déclaré « l’urgence climatique » à leur niveau. Une large vague de mobilisation publique qui s’est emparée tout particulièrement des milieux scientifiques. Outre les très larges mobilisations organisées depuis des décennies à ce sujet[13], sur la seule année écoulée on compte plusieurs mobilisations internationales, appelant à « une large désobéissance civile pour « forcer » des actions pour le climat »[14]ou encore annonçant que « face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire »[15]. La plus spectaculaire de ces mobilisations étant peut-être le Word Scientists’ Warning of a Climate Emergency publié le 5 novembre 2019 dans les colonnes de la très sérieuse revue BioScience. Co-signé par pas moins de 11258 scientifiques accrédités en provenance de 153 pays, l’appel démarre par ces lignes explicites :

« Les scientifiques ont l’obligation morale d’alerter clairement l’humanité au sujet de toute menace catastrophique qui pourrait se présenter, et de « dire les choses comme elles sont ». Sur la base de cette obligation et des indicateurs graphiques ici présents, nous déclarons, dans cet appel co-signé par plus de onze mille scientifiques signataires en provenance de toute la planète, de façon claire et univoque, que la planète Terre est face à une urgence climatique »[16].

C’est ce consensus international particulièrement explicite qui permet à la présente recherche de considérer « l’urgence climatique » à l’œuvre comme étant un « état de fait incontestable », n’ayant pas à être redémontré outre mesure. Cet appel montre aussi à quel point les communautés scientifiques de tous pays, de toutes cultures, de toutes disciplines ont déjà une conscience accrue de l’obligation morale qui leur incombe à cet égard. Nous permettant dès lors de nous interroger très directement : qu’en est-il de cette obligation morale dans les communautés scientifiques françaises de l’architecture, de l’urbanisme, du paysage ?

De nombreuses parutions récentes ont éclairé l’histoire des luttes environnementales, en témoignant notamment des manières dont, dès le XIXe, ce ne sont pas uniquement les scientifiques, mais aussi les politiques et même la société civile qui ont milité pour la question environnementale, s’engageant activement pour empêcher l’apparition ou le développement de nouvelles catastrophes industrielles autant que pour sensibiliser « l’opinion publique » sur ces problématiques[17]. A plusieurs égards, toutefois, il semble qu’en France au moins, le début des années 1970 ait pu marquer un tournant dans le développement de cette conscience critique à grande échelle – au regard, au moins, de la série de publications internationales et rapports de recherches retentissants parus en 1972[18], des premières grandes manifestations populaires (Vélorution, Les Amis de la Terre, 22 avril 1972), des premières revues écologistes (La Gueule ouverte, 1972, Le Sauvage, 1973…) ou encore des premières candidatures politiques françaises (René Dumont, 1974) qui y naissent. 

Ce n’est pourtant qu’assez récemment que les milieux de l’architecture nationaux ont « pris acte » du tournant civilisationnel[19] déjà bien engagé. Parallèlement à quelques lois et normes thermiques, à la naissance de maîtrises d’ouvrages, promoteurs ou aménageurs consciencieux ici et là, les agences de maîtrises d’œuvre ont, elles aussi, tenté de réinventer quelques-unes de leurs exigences disciplinaires. Les institutions pédagogiques se sont dotées chacune de quelques enseignants et enseignements plus explicites sur la question, ou encore, depuis peu, d’un réseau thématique inter-établissement intitulé ENSAEco, dont le Livre Vert vient tout juste de paraître[20]. Du côté des milieux académiques de l’architecture, on pourrait aussi faire état de quelques appels à contribution s’orientant à l’occasion sur le sujet, ou de l’existence d’une thèse ou d’une autre se portant volontaire pour enquêter sur l’histoire, la sociologie ou la philosophie de l’architecture confrontée à la question écologique. Quelques « axes » de laboratoire commencent à s’orienter plus explicitement sur ces questions, en lien avec l’apparition de domaines de master portés sur la question. La prise en compte des problématiques écologiques, toutefois, peut-elle rester optionnelle, peut-on encore la considérer comme une spécialisation thématique parmi d’autres possibles ?

Dans tous ces milieux de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage – domaines civils, professionnels, pédagogiques, scientifiques – on s’accordera sans peine sur la lenteur, la timidité, le peu de radicalité, voire la quasi-marginalité de la pensée écologique en 2020. A mesure que l’écologie reste considérée comme une question subsidiaire à traiter en bonus après les fondamentaux disciplinaires, ces disciplines entrent chaque année un peu plus en décalage avec la métamorphose du monde et ses enjeux réels. Avec plus de cinquante ans de retard, des sujets tels que la réduction de la place de la voiture, l’agriculture urbaine, l’architecture bioclimatique, la place des habitant·e·s dans les projets, ou encore l’adaptabilité du bâti (re)sortent péniblement des débats, quand ils ne sont pas étouffés par le discours disciplinaire dominant : celui du maintien à tout prix de l’autonomie, des singularités, des privilèges, des prétentions et des valeurs supposées de l’architecte, de l’architecture et du « projet ». Mais que penser enfin, moralement parlant, de ce quasi-silence disciplinaire au sujet de la situation écologique ?

On s’interrogera, par comparaison : que penserait-on d’un agriculteur yéménite qui s’engagerait pleinement dans la culture expérimentale de plantes non-comestibles en pleine famine généralisée ? Ou d’un médecin syrien qui choisirait de se consacrer uniquement à l’étude de la pensée antique d’Hippocrate en pleine crise humanitaire ? Comment réagirions-nous à leur comportement si nous étions leurs confrères directs, voire, si nous étions directement impactés par ces famines ou guerres civiles supposées ? N’aurait-on pas spontanément envie de voir les compétences de ces deux acteurs mises au service du réel en souffrance qui les entoure ? Ne voudrait-on suggérer une réorientation de leurs travaux respectifs ? Pourrait-on rester cynique au point d’affirmer que la famine et la guerre civile attendront, le Savoir ayant une valeur universelle intrinsèque qui surpasse, moralement parlant, les morts et les souffrances qu’elles génèrent ? 

On voudra peut-être répondre que la situation imposée par la crise écologique aux chercheurs en architecture n’est pas tout à fait comparable à ces exemples tant, dans ces deux cas : premièrement, on peut supposer l’agent éthique parfaitement conscient des désastres qui l’entourent et qu’il perçoit directement ; deuxièmement, il faut noter qu’il s’agit, à chaque fois, d’un désastre uniquement humain (famine, guerre civile) ; troisièmement, que le rôle et la catégorie d’action en société d’un agriculteur ou d’un médecin n’est pas tout à fait comparable à celui d’un chercheur universitaire, ou encore que la recherche n’a pas à rechercher d’effets immédiats. 

Analysant ces réponses pour en éprouver la pertinence, la présente démonstration montrera en quoi ces raccourcis sont autant de stratégies intellectuelles fréquemment utilisées – plus ou moins explicitement – par les acteurs et actrices de la recherche pour dissocier leur situation de celles des exemples évoqués ; c’est-à-dire pour se dédouaner d’une quelconque faute morale. Ces trois pistes seront étudiées aux côtés de quatre autres réponses couramment entendues à ce sujet : (4) le repli derrière la « liberté » et « l’indépendance » législatives du chercheur ; (5) l’invocation du facteur « hasard » dans la méthode scientifique ; ou encore (6) l’idée que « l’Architecture » ne puisse être rendue responsable de ces maux, et donc, par voie de conséquence, n’ait pas non plus à en répondre.

Ces six pistes[21] forment des clés d’entrées pour discuter des mécanismes ontologiques, psychologiques ou politiques qui pourraient porter les chercheur·es à refuser l’impératif moral posé par la situation écologique planétaire. 

L’imperception du phénomène, une excuse ?

Et si, premièrement, l’urgence environnementale était moins capable d’impacter nos pratiques de recherche, simplement parce que moins perçue ? Il faut reconnaître en effet que « l’urgence environnementale » n’est pas encore pleinement perceptible, émotionnellement parlant, au quotidien. Certes, des signaux indéniables de l’effondrement du vivant, ou du réchauffement climatique sont déjà présents dans nos vies. A titre d’exemple, qui voit encore son pare-brise couvert d’insectes écrasés quand il roule quelques heures en voiture, comme c’était encore le cas il y a vingt ans ? De même, les canicules à répétitions et le recul des glaciers ne sont-ils pas des témoins locaux tout à fait perceptibles et éloquents du changement à l’oeuvre ? A l’évidence, ces conséquences de l’activité moderne sont encore éparses et discrètes à la fois ; elles constituent des signaux faibles du changement – peut-être encore trop faible pour émouvoir, pour indigner.

A l’occasion, des événements plus spectaculaires, d’une autre échelle, d’une autre puissance émotionnelle potentielle, défraient aussi la chronique. Pensons notamment aux gigantesques feux qui ont ravagés l’Australie en 2019, dont les images ont choqué dans le monde entier. Si l’origine anthropique de ces « mégafeux » a été largement démontrée, bon nombre d’études ont aussi informé les façons dont les grands médias ont très largement oeuvré à la diffusion des thèses climatosceptiques et au déni de toute responsabilité humaine à cet égard[22] ; empêchant largement la prise de conscience (inter)nationale qui aurait pu découler de cette catastrophe environnementale sans précédent. C’était juste avant que la pandémie de Covid-19 ne nous fasse complètement oublier cette catastrophe. Et que ne se reproduire le scénario, les études scientifiques attestant toutes de la responsabilité du système économique et social actuel dans la multiplication du nombre de pandémies au XXIe siècle[23]

La production intellectuelle de Kirkpatrick Sale interroge justement la possibilité d’un dialogue entre moralité et échelle. Dans L’art d’habiter la Terre, la vision biorégionale, l’auteur s’interroge sur la relation entre moralité et perception, questionnant la possibilité d’agir correctement face à des enjeux dont nous n’avons ni la perception, ni parfois la connaissance[24]. La réponse à cette aporie réside, pour le théoricien décentraliste, dans l’échelle et la juste mesure : « Le seul moyen pour que les gens adoptent un « bon comportement » et agissent de manière responsable, c’est de mettre en évidence le problème concret, et de leur faire comprendre leurs liens directs avec ce problème – et cela ne peut être fait qu’à une échelle limitée »[25]. En proposant de revenir à une échelle d’action, de réflexion et de pensée en lien direct avec la corporéité humaine, Sale s’inscrit ici dans une lignée théorique allant de Kohr à Schumacher ou Ivan Illich, et qui se poursuit aujourd’hui en France via des philosophes comme Jean-Pierre Dupuy[26], Olivier Rey[27] ou Thierry Paquot[28]. Parallèlement, le père fondateur de l’éthique environnementale Holmes Rolston III insiste pour sa part sur les relations entre éthique environnementale et esthétique environnementale, soulignant la pertinence de la connaissance scientifique dans l’appréciation, et finalement la protection de la nature[29].

           Voilà deux approches théoriques pouvant expliquer une part de l’inaction, du silence contemporain : parce que les phénomènes nous resteraient hors d’échelle, supraliminaires ou infraliminaires[30], ou bien en ce qu’ils nous seraient inconnus ou imperceptibles, esthétiquement parlant, nous en resterions étrangers, éloignés, et, dès lors, peu capables et peu motivés à la fois pour travailler sur leurs états et devenirs.

Comme l’a bien démontré, hélas, le philosophe Hans Jonas, impossible de s’arrêter à ces constats pour prendre en compte la responsabilité spécifique qui se pose à notre époque : une responsabilité s’appliquant à la fois à une échelle globale nous dépassant nécessairement, et en même temps à un avenir obligatoirement incertain et imperceptible. D’où son appel pour une « éthique du futur », formulé dès 1978 avec la parution du Principe responsabilité[31], qui, prônant une « transformation nécessaire de l’éthique »[32], reformule les impératifs éthiques kantiens sur des bases globales et futuristes à la fois[33]. De nombreuses philosophies ont, depuis Jonas, mis en débat les enjeux et paradoxes de ce constat pour les différentes voies de l’éthique – qu’elle soit « déontologique », « conséquentialiste » ou qu’elle relève de « l’éthique des vertus »[34] –, tant et si bien que les idées de responsabilité ou d’éthique du futur sont devenues des cadres de référence pour les débats sur l’éthique à l’ère anthropocène. 

L’individu est-il capable de s’autoréguler face à une menace qu’il ne perçoit pas directement, ou un système politique et social englobant doit-il le contraindre dans le sens de la moralité ? Tandis que les conséquences théoriques et pratiques de ces débats ne sauraient entrer dans le cadre de la présente réflexion, reste une question prégnante pour notre affaire : pourquoi la communauté scientifique, pourtant bien habituée à abstraire, à théoriser, à prendre du recul, voire à argumenter hors-sol, pourrait-elle soudain se réfugier derrière l’argument d’une imperceptibilité de ses objets, cadres ou problématiques d’étude ? Après tout, la socio-histoire des communautés architecturales de la Renaissance est-elle véritablement plus concrète, plus perceptible, plus sensible, plus accessible que la disparition accélérée des hérissons de nos écosystèmes urbains ? A bien y regarder, l’argument de « l’absence de positionnement moral par imperception sensible » semble bien étonnant s’il doit concerner le travail de chercheurs bien habitués à percevoir les enjeux conceptuels, l’importance théorique, la nécessité éthique de la connaissance sur des situations passées ou abstraites, bref, sur des choses tout sauf directement perçues par l’affect, le corps et les sens incarnés. Pourquoi alors considérer sérieusement que cette absence de perception directe devrait être à l’origine du désintérêt, voir du mépris de certain·es pour cette injonction morale à travailler sur l’urgence écologique contemporaine ? Seule réponse possible : l’imperception n’est pas une excuse donnée consciemment par la communauté, mais la cause inconsciente de leur absence de prise au sérieux du sujet…

Un anthropocentrisme moderniste, technophile et progressiste généralisé

Deuxièmement, il faut prendre tout autant au sérieux l’argument voulant que les catastrophes engendrées par l’urgence écologique ne soient pas, pour l’heure, principalement humaines. Ce qui amène invariablement à porter le débat sur la valeur morale que nous accordons à la vie non-humaine : une question inévitable s’il s’agit de comprendre la responsabilité morale que nous pensons devoir endosser face à l’effondrement du vivant, actuel et à venir, en tant que chercheurs capables de produire des connaissances pouvant nourrir les débats, actions et réflexions à ce sujet. L’urgence environnementale serait-elle donc moins capable d’impacter nos pratiques de recherche, simplement parce qu’elle concerne un « non-humain » à faible valeur intrinsèque pour le ou la chercheur·e ?

C’est à un anthropocentrisme très fort qu’il faut s’accrocher pour soutenir de la sorte que les vies non-humaines n’ont aucune valeur et que l’anéantissement écologique généralisé actuel n’est pas un problème moral en soi. Un anthropocentrisme non seulement moderniste mais aussi nécessairement spéciste, s’il doit s’agir d’exclure les êtres vivants non-humains de l’échelle morale, par-delà leur animalité[35], leurs attributs d’être sensibles, doués d’intelligence, de culture, leur droit à la vie et à pouvoir mener une vie digne, leur capacité à se comporter en citoyens d’un monde multispéciste[36] – bref, la façon dont leur vie ne saurait être qu’un moyen au service d’une fin humaine supérieure, mais doit aussi être considérée comme une fin en soi, avec ses propres valeurs intrinsèques inaliénables[37]. Par-delà, l’impressionnante somme philosophique sur le sujet animaliste depuis la parution de la Libération animale de Peter Singer[38], il faut rappeler à nouveau à quel point Le principe responsabilité d’Hans Jonas reste un texte lui aussi incontournable sur la question[39].

Par-delà ce débat, sur lequel chacun positionnera sa croyance, entre écocentrisme, zoocentrisme, anthropocentrisme, sociocentrisme et bien d’autres modèles encore : même anthropocentrés, nous devons aujourd’hui reconnaître l’indissociabilité des devenirs du vivant humain et non-humain. Nous ne survivrons pas sans les écosystèmes : la destruction du vivant et des écosystèmes a d’ores et déjà un impact dévastateur sur nos sociétés – impact qui ne fera qu’augmenter à mesure que se poursuivra la destruction accélérée de la biosphère. En quoi l’anthropocentrisme doit donc se doubler, pour pouvoir s’établir solidement dans la psyché individuelle et collective, d’une forte croyance dans l’idée que la civilisation occidentale-moderne puisse être maintenue en vie, coûte que coûte, par la technologie. Comme si, quel que soit l’état de la planète, le progrès civilisationnel nous permettrait toujours de nous en sortir. Alors que, comme le rappelle bien le scientifique et militant Aurélien Barrau, « aujourd’hui, la corrélation entre la croissance du PIB et la dévastation écologique est un fait scientifique acté »[40] : c’est tout le fonctionnement sociétal basé sur l’articulation entre croissance économique, production industrielle et consommation de masse qui peut être mis en cause s’il s’agit d’expliquer l’accélération des destructions environnementales mesurées depuis plusieurs décennies. 

Cette idéologie moderne-productive-progressiste constitue exactement la croyance qu’ont bien déconstruit et réfuté, chacun à leur manière, des courants philosophiques, politiques, et sociaux aussi variés que l’éthique environnementale, l’écologie sociale, l’écologie profonde, le biorégionalisme, le décentralisme, la décroissance, l’éco-anarchisme, le convivialisme, la théorie du low-tech, la collapsologie, la technocritique ou encore le territorialisme – parmi une multitude d’autres courants encore. Et c’est à l’ensemble des arguments de cette littérature internationale longue de plusieurs décennies de débats et de centaines d’ouvrages qu’il faut renvoyer les tenants de cette croyance anthropocentriste dans le progrès technique. Une démonstration que cet article n’a pas les moyens d’opérer ici outre ce renvoi expéditif, mais néanmoins fondamental. 

Si la recherche était incapable, alors pourquoi faudrait-il encore de la recherche ?

Lorsqu’il doit être question de s’engager, en tant que chercheur, dans la question environnementale, on entend troisièmement remettre en cause la capacité de la recherche à agir en ce sens. Dit de manière synthétique, les chercheurs n’auraient pas de capacité d’action directe – sous-entendu ne devraient pas avoir une telle action directe –, et leur rôle ne serait pas aussi concret et direct que celui des paysans et médecins de nos deux exemples introductifs. Si c’est une évidence que de le dire, cela sous-entend-il nécessairement que la recherche ne peut pas agir, qu’elle ne doit pas agir, face à une situation morale donnée ? Ou encore : l’urgence environnementale serait-elle moins capable d’impacter nos pratiques de recherche simplement parce que la recherche serait de toute façon déconnectée du monde et ses besoins, utile à la société dans un autre espace-temps que celui, concret, de l’ordinaire et ses souffrances sur lesquels elle ne saurait agir ?

On touche alors à un paradoxe certain, puisque cette réponse vise à retirer à la recherche en architecture, en urbanisme et en paysage un tel ensemble de capacités de réflexions et d’actions, d’influence symbolique, d’impact sociétal, un tel poids théorique et pratique, une telle portée cognitive et opérationnelle, bref, un tel intérêt en définitive, qu’on voit mal encore pourquoi il y aurait un quelconque sens à continuer même, dans ce cadre de croyance, à être chercheur, quel que soit le sujet. A retrouver aujourd’hui la clarté des résultats des enquêtes menées au début des années soixante-dix par le mathématicien Alexander Grothendieck – qui montrent bien à quel point très peu de chercheur·es savent, en définitive, pourquoi chercher, pourquoi ils font de la recherche, ou encore pourquoi faudrait-il en faire[41] –, on comprend mieux comment une telle réponse peut être formulée par les chercheur·e·s eux-mêmes : après tout, si ne voit pas bien « à quoi sert » la recherche, il n’est pas difficile, en suivant, de retirer à cette recherche toute forme « d’utilité »…

C’est oublier, hélas, l’absurdité d’opposer recherche et action – ne serait-ce que parce qu’une recherche-action est possible ou parce que la recherche nourrit l’action (disciplinaire, politique, pédagogique, citoyenne, etc.), et vice versa. En effet, tout état des lieux sérieux au sujet des recherches pouvant être considérées comme des « recherches en architecture, urbanisme et paysage »[42] fera apparaître deux conclusions. Premièrement, il est tout à fait impossible d’opposer « recherche » et « action », la recherche contribuant, nourrissant, déplaçant, aidant (etc.) l’action – quand elle n’est pas elle-même une action engagée ; autant que les acteurs de l’action peuvent être eux-mêmes des chercheurs par ailleurs, nourrir la recherche de leur pratique, voire confronter les hypothèses ou résultats de celle-ci. « Chercher » peut donc signifier « agir », et vice-versa, l’action est sans doute à considérer à la fois comme une part incontournable de la recherche et comme complémentaire de celle-ci. Deuxièmement, au regard des différents travaux de recherche déjà menés dans notre champ, il semble très difficile, voire impossible de faire état d’une catégorie, d’une méthode, d’un type, d’une modalité ou d’un cadre de recherche qui ne puisse être valable, utile, fort, pertinent face à l’urgence écologique. Il n’y a donc pas, a priori, de stratégie de recherche qui ne puisse être utile. Deux conclusions qui portent chacune à montrer à quel point l’impératif éthique ne saurait être considéré comme excluant pour la recherche en architecture. Parce qu’il permet à l’inverse une inclusion maximale, cet enjeu moral reste une dynamique à saisir pour chacun et chacune depuis ses propres positions.

Interrogeons-nous aussi : si l’architecture, l’urbanisme, le paysage ne s’intéressent pas aux problèmes posés par leurs pratiques et aux solutions offertes par leurs méthodes et leurs savoirs propres, alors qui le fera ? On voudra peut-être insister sur la nécessité du temps long de la recherche, nécessairement théorique avant d’être opérationnelle, toujours un peu fondamentale avant d’être appliquée. La crise globalisée de la Covid-19 l’a en effet bien montré : « La science ne fonctionne pas dans l’urgence et l’immédiat »[43]. Mais rappeler ceci est tout sauf un appel au désintéressement de la science au regard des sujets importants. Au contraire, il est question d’y défendre l’intérêt fondamental de financer des recherches scientifiques sur le long terme, par exemple en ce qu’il faut « maintenir un effort de recherche constant » pendant des années pour qu’un médicament puisse voir le jour. De même, c’est bien le temps long et l’hyperspécialisation sur des sujets théoriques pointus qui peut permettre, le moment venu, de constituer des conseils scientifiques d’experts pour conseiller l’action politique ou informer la population. Nulle opposition n’est à mettre à jour entre recherche fondamentale, temps long de la recherche, intérêt et utilité de la science. Du reste, il est difficile de se réfugier derrière l’argument d’une valeur intrinsèque, universelle et intemporelle du Savoir au sein d’une civilisation n’étant pas certaine de pouvoir survivre plus d’un siècle aux destructions qu’elle a elle-même causées…

La sacro-sainte liberté du chercheur

Quatrièmement, il faut prendre au sérieux l’insistance à rappeler la sacro-sainte « liberté du chercheur », voulant, légalement parlant, que rien ne puisse jamais lui être imposé : 

« Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d’objectivité.[44] »

Utilisée comme argument pour répondre à l’exigence éthique imposée par la situation écologique, cette « pleine indépendance » et « entière liberté » est à voir comme une autre stratégie de fuite encore face à la contemporanéité : fuite face à cette nouvelle responsabilité écologique qui n’est pourtant ni la première, ni la dernière exigence éthique à s’imposer aux chercheurs – et qui n’est donc nullement incompatible avec ce principe légal d’indépendance et de liberté. En effet, il faut le rappeler : « quelle que soit sa discipline, un chercheur est confronté à des questions éthiques, que celles-ci se bornent au champ de son expérimentation ou portent plus loin lorsque les effets attendus de cette dernière sont importants en matière sociale, industrielle, médicale, etc. »[45]. Bien au-delà d’une possible opposition entre liberté, indépendance, responsabilité, c’est d’ailleurs la reconnaissance de la dignité d’autrui et de nos devoirs envers cet autre qui constitue le fondement même de l’idée de liberté[46]. Tout l’enjeu étant désormais de prendre conscience de l’ouverture de cette vision anthropocentrée du « droit » à d’autres formes de vie, voire d’Eléments terrestres : ainsi une très officielle Déclaration universelle des droits de l’animal à été ouverte à Paris en 1978 à la Maison de l’Unesco[47], ainsi les auteurs de l’ouvrage Zoopolis proposent-ils d’ouvrir le champ de la citoyenneté aux animaux non-humains, ainsi la Nouvelle-Zélande a-t-elle tout récemment doté un fleuve d’une personnalité juridique[48], etc.

Comme le relève très justement Chloé Gautrais dans son enquête intitulée Responsabilité de l’architecte face à l’urgence écologique, la « responsabilité » dont il est question n’est certes, pour l’heure, qu’un impératif symbolique : 

« La responsabilité de l’architecte est aussi écologique. C’est une responsabilité au sens social du terme, ne relevant à ce jour ni d’une responsabilité civile, ni pénale, ni déontologique. Elle serait d’ordre civile si la biosphère était considérée comme « autrui » par le Code Civil. Elle serait d’ordre pénale si les règles d’urbanisme et de construction étaient rédigées de telle sorte à privilégier une souplesse d’adaptation au lieu, tout en étant clairement engagées sur des fins que l’on pourrait qualifier d’écologiques et tout à fait rigides quand au respect de ces fins. Elle serait d’ordre déontologique si le soin au milieu, à travers le domaine de la construction, figurait dans les missions réglementées de la profession, et si ce milieu se voyait considéré dans cette perspective comme un « acteur » envers lequel une série de droits et de devoirs s’exercent, sur le même modèle que ceux qui s’exercent avec les clients, les confrères, l’Ordre et les administrations publiques. »[49]

Dès lors, faut-il vraiment souhaiter que cette « responsabilité » en vienne à revêtir un sens juridique plus contraignant ? 

La recherche avance-t-elle vraiment sous l’effet du hasard le plus pur ?

C’est une ineptie que de vouloir concentrer les recherches sur un sujet car, entendra-t-on répondre cinquièmementon sait bien que beaucoup de grandes découvertes scientifiques ont été le fruit du hasard. Il ne faut donc pas restreindre la recherche à ces préoccupations environnementales, car les meilleures avancées à ce sujet pourraient aussi bien provenir de recherches a priori sans rapport avec la question écologique. Que penser de cette réponse spéculative ? En effet, c’est un fait avéré, quelques découvertes-clés seraient bien le fruit d’un certain inattendu, d’un accident, voire à l’occasion d’un échec. Mais peut-on, doit-on pour autant considérer que c’est là la meilleure méthode pour obtenir des découvertes-clés : s’en remettre au hasard ?

Il faut dire tout d’abord que ces découvertes nées d’accidents sont peut-être surtout les exceptions confirmant la règle, de rares anecdotes qui se transmettent de génération en génération pour déconstruire de façon amusante l’a priori du chercheur maîtrisant son sujet ; il est question d’heureuses exceptions de l’histoire des sciences plutôt que de la condition première de la progression scientifique. Ensuite, à bien y regarder, force est de constater que ces cas historiques ne sont pas tout à fait des « hasards », mais plutôt des situations de recherche tout à fait sérieuses, simplement perturbées par un imprévu créateur. L’analyse des cas les plus connus révèle en effet que les conditions de possibilités de ces découvertes ont nécessité avant tout un cadre de travail et un ensemble de méthodes outils, compétences et intérêts scientifiques, et en suivant et dans une moindre mesure, une infime part de chance saisie par un chercheur rigoureux et attentif. 

A titre d’exemple, relevons que si en 1928 Alexander Fleming découvre bien la pénicilline « par accident », en rentrant de vacances, grâce à la moisissure laissées sur ses boîtes de Petri, on n’oubliera pas qu’il ne s’agit pas là tout à fait d’un « hasard » : Fleming travaille depuis plusieurs années sur l’action antibiotique du lysozyme, passant ses journées à cultiver et observer l’action de bactéries staphylocoques en laboratoire, proche d’un autre chercheur travaillant pour sa part sur le penicillium notatum. Si la découverte est donc bien due à un transfert non maîtrisé entre une paillasse et l’autre, elle est avant tout due à l’existence du cadre rigoureux du laboratoire et ses paillasses, ainsi qu’à l’attention, la curiosité et la compétence de Fleming retrouvant son espace de travail transformé et sachant l’analyser correctement dans le sens de son intérêt pour les antibiotiques. Sans parler du fait qu’il faudra ensuite plus d’une décennie à Fleming pour tenter de construire une forme stable de la « pénicilline », sans succès, et finalement l’intervention d’une équipe d’Oxford pour parvenir enfin à la découverte telle que nous l’imaginons. Difficile, dans ce contexte précisé, d’affirmer que Fleming aurait découvert la pénicilline « par hasard »…

Cet exemple illustre peut-être bien la difficulté consistant à refuser l’enjeu écologique contemporain au moyen de « l’argument de la science hasardeuse ». Tout comme il semble difficile de trouver une propriété antibactérienne sans être un biologiste compétent et préoccupé par la question bactériologique – fusse par hasard –, il semble tout aussi difficile d’imaginer faire progresser l’état des connaissances sur, par exemple, l’architecture bioclimatique, sans être un chercheur compétent et préoccupé par les questions d’architecture et de bioclimatisme – fût-ce par hasard. Autrement dit encore, l’important pour découvrir la gravité n’est pas de se promener dans un verger et regarder les pommes tomber, mais plutôt d’être Isaac Newton !

En fait, ces développements nous ramènent inlassablement à une question plus fondatrice encore, qui concerne le principe même de la « recherche » : comment d’un côté pourrait-on chercher ce qu’on ne connaît pas, et comment, d’un autre côté, pourrait-on savoir qu’on a trouvé la chose quand c’est le cas (puisque nous ne savons pas ce qu’elle est) ? Il revient à un célèbre dialogue de Platon[50], où Ménon et Socrate débattent de la possibilité même de la recherche comme principe, d’avoir posé en premier ce paradoxe, qui sera nommé par la suite le paradoxe de Ménon ou « paradoxe de la recherche ». Ce paradoxe antique raisonne toutefois bien étrangement avec notre contemporain bureaucratique, si préoccupé par ses problématiques d’attractivité, de productivité, de rentabilité, de stabilité ou encore de prévisibilité presque-totale de la recherche[51]. Or, c’est dans ce contexte actuel qu’est plongée la totalité (ou presque) de la communauté des chercheur·e·s en architecture. Difficile de croire, dans un tel environnement, qu’elle puisse être à ce point attachée à la valeur du hasard – ou alors, certes, comme antidote à l’absurdité du paradigme technocratique ! 

De même, comment penser accuser l’exigence éthique environnementale de réduire, plus encore que ces conditions postmodernes dans lesquelles le savoir est à ce point instrumentalisé[52], la part du hasard, de la découverte inattendue, de la « sérendipité » ? Il n’est nullement question de penser ici restreindre ou fixer à l’avance, ni les modalités, ni les cadres, ni les méthodes, ni les sujets, ni les champs, ni les outils, ni les corpus d’étude et les cadres d’analyse qui font la recherche architecturale, urbaine et paysagère d’aujourd’hui. Les seules choses mises en mouvement par l’appel moral environnemental – et ce n’est certes pas un point de détail –, semblent plutôt être les finalités et les enjeux de ces recherches en tout genre ; leur intérêt, leur sens, leur raison d’être. 

Pour le dire au moyen d’exemples concrets : continuons à travailler sur Viollet-le-Duc si nous le pensons utile, mais faisons-le en tant que nous croyons cette problématique capable de répondre de façon pertinente à ces enjeux actuels cruciaux. Poursuivons nos enquêtes sur le rapport à l’artisanat et l’industrie des Smithson, du moins tant que nous pouvons dire clairement à quel point cette recherche est pertinente face aux impératifs moraux de notre contemporain en souffrance. Ou encore analysons plutôt, si nous le voulons, les rapports entre sociologie et architecture dans l’après-guerre, en tout cas tant que nous pouvons démontrer que cela pourra aider, d’une manière ou d’une autre, à réduire l’époque de l’anthropocène qui s’ouvre pour la rendre « la plus brève possible » (Haraway)[53] ! Et cela, de façon consciente, voire argumentée. En effet, si le hasard est bien une part incontournable de la vie et ses évolutions[54] ; quoique l’incertitude soit bien « le domaine de la personne morale est le seul sol dans lequel la moralité pourra germer et fleurir »[55] ; même si l’étonnement est bien à l’origine de la philosophie elle-même[56] ; et bien que l’idée de « découverte » est bien l’objectif de tout processus de recherche : cela n’en empêche nullement la plus simple logique de rappeler qu’on ne trouve que rarement ce qu’on ne cherche pas ! Sans quoi d’ailleurs il n’y aurait ni « recherche », ni « science », et l’histoire des idées progresserait seule, au gré du hasard, d’une personne à l’autre. Auquel cas bon nombre de paysans auraient découverts et formulé la théorie de la gravité plutôt qu’un astrophysicien moderne – le ridicule de l’idée parle pour lui-même.

Il faut le rappeler : s’il importe bien de parler de rendipité et de prendre très au sérieux cette dernière dans le processus de recherche scientifique, c’est bien en ce que celle-ci se travaille, se cherche, se construit ! Forgé par l’écrivain anglais Horace Walpole en 1754, le concept de serendipity doit désigner une « sagacité accidentelle », l’art de découvrir des choses à la fois « par accident et sagacité »[57]. Ainsi la chercheure Sylvie Catellin propose-t-elle en 2014 de définir la sérendipité par « l’art de découvrir ou d’inventer en prêtant attention à ce qui surprend et en imaginant une interprétation pertinente. »[58]. On le voit, une fois de plus : tout l’enjeu réside dans la conduite de la déprise[59] autant que de la maîtrise, dans l’attention à l’imprévu autant qu’à l’attendu, dans la construction du sens partout où il peut se trouver. Bref, une fois de plus : un « art de découvrir ou d’inventer en prêtant attention » qui n’a pas grand-chose à voir avec le pur hasard…

En quoi l’architecture serait-elle en cause ?

« Plus notre profession s’accrochera à ses rêves perdus, plus elle échouera dans ses responsabilités envers autrui, et plus elle sera reléguée aux marges. »

Jeremy Till[60]

Si l’architecture doit être entendue uniquement comme un art de la composition, de la proportion, de l’ajustement d’une forme et d’une fonction, alors, certes, cette discipline ne pourra probablement rien face aux enjeux écologiques actuels. De même, si l’urbanisme n’est qu’un travail de juxtaposition des morphologies urbaines, de composition et d’alignement des voiries, de « calage » des espaces publics, de réglementation des formes bâties et de dessin d’un skyline élégant pour la ville, alors à nouveau il ne saurait en effet être question de convoquer ce champ pour répondre aux problématiques environnementales. Si le paysage est un savoir-faire visant à composer des jardins, choisir des plantations harmonieuses pour l’œil, maîtriser l’organisation générale au moyen de zones fonctionnelles ou symboliques, aplanir ou élever la topographie du lieu pour satisfaire à une sémantique particulière, alors, reconnaissons-le, il ne sera d’aucun secours face à la destruction généralisée des milieux et leurs habitants.

Heureusement, il y bien longtemps que ces définitions classiques, réductrices et partielles ont été remises en cause[61]. Sous l’effet d’une « extension du domaine de l’urbanisme »[62], la discipline s’est élargie jusqu’à ce que le Grand Prix d’Urbanisme ait pu être attribué en 2019 à quelqu’un d’aussi anti-classique que Patrick Bouchain. Quant à la pensée et la mise en acte du paysage, elles se construisent aujourd’hui plutôt sous l’impulsion du tiers paysage, sauvage et spontané, social et écocentré, de Gilles Clément. De sorte que tout s’ouvre : tant l’idée d’une « recherche » en ces domaines – tout de même bien difficile à envisager au sein de la version classique de ces trois disciplines –, qu’une réelle possibilité de réponse à l’ère anthropocène, ses problématiques, urgences et nécessités.

Aujourd’hui encore, nombreux sont pourtant les acteurs de ces milieux à dire haut et fort, sixièmement, que l’architecture n’est pas là pour « sauver le monde ». L’exagération, comme l’a bien montré, Jeremy Till, est si grossière qu’elle ne saurait toutefois faire argument[63]. Que l’architecture, l’urbanisme et le paysage souhaitent en fait ou non « sauver le monde » n’est pas tant la question : la modestie voudrait premièrement inviter ces domaines à vérifier tout d’abord qu’ils ne sont pas en train de le détruire – fut-ce involontairement ou inconsciemment.

Pensons à l’impact émotionnel direct que pourrait avoir une recherche permettant de donner à lire, à voir et à sentir la façon dont l’architecture est non seulement constructrice d’espace habitable, mais aussi indéniablement destructrice d’espaces habités. Avec chaque édifice architectural bâti, il est question d’écosystèmes et d’une atmosphère pollués pour la production et le transport de ses matériaux, il est question de sites habités ravagés par ses fondations et la mise en œuvre constructive, il est question d’environnements pollués par ses systèmes d’entretiens et de fonctionnement, il est question de coûts écologiques supplémentaires pour les réparations à venir ou les potentielles obsolescences qui nécessiteront des transformations, voire, pour un certain nombre de constructions, de démolitions et de mises en décharges d’une large partie de l’édifice au bout d’un temps finalement assez bref. L’addition est salée : l’impact de chaque aspect de presque toute l’édification bâtie contemporaine est responsable d’un nombre incalculable d’atteintes environnementales de tous types. Tout comme une très large prise de conscience populaire fut récemment opérée par la simple révélation imagée de la réalité des conditions de l’élevage industriel et des abattoirs, tout porte à croire qu’il puisse être opérant de donner à lire la réalité de la construction bâtie actuelle dans toute sa chaîne de production, de vie et de destruction – de la plage de sable à la déchetterie. En rendant sensible et (com)préhensible les destructions à l’œuvre, une telle recherche, si elle était menée avec toute la rigueur que permettent les méthodes et outils universitaires, scientifiques et académiques, afin d’être irréprochable sur ses contenus et leur pertinence, ne pourrait-elle rendre enfin perceptible à nouveau l’énorme responsabilité de notre milieu intellectuel, social et professionnel sur la catastrophe en cours ?

C’est en cela qu’on s’accordera sans peine avec Dominique Gauzin-Müller affirmant qu’« il est urgent d’imaginer une autre architecture[64] » : car quoi d’autre qu’une ré-invention, une fois ces constats portés à la conscience ? Du reste, étant donné l’ampleur de l’impératif moral en question, s’il s’avérait finalement que l’architecture pouvait n’avoir aucun rôle à jouer dans la crise à l’œuvre, voire qu’elle était contreproductive, pourquoi perpétuer son existence coûte que coûte ? Affirmons à la suite d’Adolfo Natalini[65] que les formes de conception pourraient aussi bien être rejetée jusqu’à ce qu’elles soient mises en luttes contre l’extermination du vivant et des écosystèmes. Nous pouvons aussi bien vivre, qu’habiter même, sans architecture[66]. Cherchons collectivement les possibilités de saisir ces disciplines pour les mettre au travail sur cette problématique et ces enjeux ! Car si l’architecture doit être sauvée, c’est pour la raison justement mise en lumière par Panos Mantziaras : « si l’architecture doit à tout prix subsister […] c’est parce qu’elle seule peut produire certaines figures de connaissances critiques à l’ère de l’Anthropocène »[67]. De quoi notre discipline est-elle seule capable, aujourd’hui, au regard des autres champs scientifiques ? Voilà la question qui importe, tant pour donner du sens à notre discipline, que pour répondre pleinement, concrètement, utilement aux enjeux de notre époque en tant que chercheur·e·s en architecture.

Conclusion

D’une part, la démonstration à voulu montrer ici à quel point la recherche en architecture, urbanisme et paysage ne souffre d’aucune impossibilité structurelle de s’attaquer aux enjeux écologiques contemporain. D’autre part, il a été montré au mieux à quel point aucun excuse, aucun argument, aucun raison valable ne semble pouvoir être avancée pour justifier un détournement de ces sujets aux conséquences morales proprement incalculables – ou du moins, à quel point nul de ces sept points ne pouvait valoir. Disons donc en conclusion qu’il n’y a pas de raisons structurelle, professionnelle, éthique ou épistémologique pour que les recherches en architecture, urbanisme et paysage ne se confrontent pas pleinement à l’impératif moral majeur de notre époque : celui, environnemental, de l’effondrement de la vie, actuel et à venir, sur cette planète.

Ce qui signifie, pour le dire en termes Kantiens, que la démonstration a aussi voulu montrer à quel point la question écologique ne relève donc pas d’un impératif hypothétique, mais d’un impératif catégorique[68]. Ethiquement parlant, ce n’est donc pas une proposition maximaliste au sens d’un devoir envers soi-même, mais bien minimaliste (au sens que donnait Ruwen Ogien à ces termes[69]) : l’enjeu est celui d’éviter de nuire à autrui… fut-ce par inaction ! Une problématique morale qu’il est donc possible de formuler sous l’angle de l’élargissement du principe de culpabilité pour « non-assistance à personne en danger » vers quelque chose comme une « non-assistance à Planète en danger ».

Bien sûr, cette exigence éthique imposée par la situation écologique ne remplace pas les autres exigences éthiques : elle s’additionne aux questions sociales et sociétales, aux situations individuelles et collectives, aux problématiques locales et globales, etc. – d’où l’intérêt d’ailleurs de prêter attention à l’émergence des « humanités environnementales » comme un champ, une méthode, une épistémologie capable de lier toutes ces problématiques du même mouvement. De même, tout cela n’a pas la prétention de dire outre mesure qu’en faire ! C’est toute la question, pour le dire avec Knud Logstrup, de « l’odieux silence de l’exigence éthique affirmant qu’il faut faire quelque chose, mais s’entêtant à refuser de préciser quoi) »[70] – fort heureusement peut-être ! Zygmunt Bauman insiste à raison à ce sujet : « L’exigence éthique, cette pression « objective » qui nous pousse à être moraux et qui émane du fait même d’être en vie et de partager la planète avec d’autres personnes, est et doit demeurer silencieuse. »[71] ; au risque, sinon, de tomber dans un paternalisme moralisateur savonneux.

Lesley Ann Hughes est biologiste reconnue et directrice de plusieurs institutions australiennes d’enseignement et de recherche. Sa récente conclusion à ces sujets est très claire : « les sciences du changement climatique ressemblent à un « Hotel California » de la recherche – vous pouvez quitter votre chambre quand vous le souhaitez, mais le défi moral qui l’accompagne (…) fait que la fuite n’est pas une option[72] ». Ce sera aussi la mienne : la fuite n’est pas une option.


[1] Ghassan Hage, Le Loup et le musulman, Marseille, Wildproject, 2017, pp.13-14.

[2] Margaret Klein Salamon, « Leading the Public into Emergency Mode: A New Strategy for the Climate Movement », 2016. http://theclimatepsychologist.com/leading-the-public-into-emergency-mode-a-new-strategy-for-the-climate-movement/

[3] Peter Sloterdijk, « De quelle grandeur est le « grand ? », dans Les Grands Textes fondateurs de l’écologie, Flammarion, 2013, pp.341-362, p.352.

[4] Justin McBrien, « This Is Not the Sixth Extinction. It’s the First Extermination Event », Truthout, 14 septembre 2019.

[5] https://www.nouvelobs.com/planete/20200311.OBS25926/climat-l-amazonie-pourrait-disparaitre-en-50-ans-et-la-barriere-de-corail-en-15-ans.html

[6] C. Hallmann et al., « More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas », Plos One, 18 octobre 2017.

[7] « Le printemps 2018 s’annonce silencieux dans les campagnes françaises », communiqué de presse CNRS-Muséum national d’histoire naturelle, 20 mars 2018.

[8] https://www.unenvironment.org/fr/actualites-et-recits/communique-de-presse/il-faut-reduire-les-emissions-mondiales-de-76-par-au

[9] Etudes préparatoires au prochain rapport du GIEC (CNRS-CEA-Météo France), http://www.cnrs.fr/fr/changement-climatique-les-resultats-des-nouvelles-simulations-francaises-0

[10] https://ipbes.net/sites/default/files/ipbes_7_10_add.1_en_1.pdf

[11] « Si nous persistons dans cette voie, le futur de notre espèce est sombre », « L’appel de 1 000 scientifiques : « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire », Collectif, Le Monde, 20 février 2020.

[12] Célia Jouayed, Juliette Guittard, « Les déclarations d’urgence climatique. Un outil purement politique ou un instrumnet juridique efficace et nécessaire ? », EcoRev’ n°48, Luttes écologistes, une perspective mondiale, 2020 p.175.

[13] Citer urgence climatique du début année 1990 et le rappel 30 ans après – cf. intervention orale

[14] Matthew Green, « Scientists endorse mass civil disobedience to force climate action », Reuters, 13 octobre 2019. 

[15] « L’appel de 1000 scientifiques : « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire », Le Monde, 20 février 2020.

[16] William J Ripple, Christopher Wolf, Thomas M Newsome, Phoebe Barnard, William R Moomaw et al., “World Scientists’ Warning of a Climate Emergency”, Bioscience, 5 novembre 2019. (je souligne)

[17] Voir notamment Un boeuf dans la tempête. Biographie de Tanaka Shozo écologiste japonais, Marseille, Wildproject, 2015 ; Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’événement anthropocène, Paris, Seuil, 2013 ; Jean-Paul Deléage, Histoire de l’écologie, Paris, Seuil, 1991 ; ou encore Jean-Baptiste Charcot et Jacques Liouville, « La chasse aux cétacés dans l’Antarctique », in Les Grands textes fondateurs de l’écologie, Flammarion, 2013, pp.79-89.

[18] Pensons pour s’en convaincre, à la parution – pour la seule année 1972 ! – des ouvrages majeurs A Blueprint for survival (The Ecologist, traduit la même année sous le titre Changer ou disparaître. Plan pour la survie chez Fayard), du « Rapport Meadows » The limits to Growth (paru sous le titre Halte à la croissance ? chez Fayard), ou encore de l’ouvrage de Barbara Ward et René Dubos Nous n’avons qu’une seule Terre (éd. Denoël).

[19] «. Un autre monde est en train de naître devant nos yeux. Un autre esprit, dans nos façons de penser, d’espérer et d’avoir peur. L’angoisse écologique qui donne sa couleur au siècle nouveau n’annonce rien moins, pour notre civilisation, qu’un changement d’englobant. Ce fut l’Histoire, ce sera la Nature. » Regis Debray, Le siècle vert. Un changement de civilisation, Paris, Gallimard, 2020.

[20] Dimitri Toubanos, Philippe Villien (co-dir.), Le Livre Vert, RSP EnsaEco, 2019.

[21] Deux autres argumentaires encore ont été évacués de la démonstration dans un soucis de concision : d’une part celui voulant que ces discours soient déjà anciens (sous-entendant qu’il n’y aurait pas « d’urgence » sur le sujet) ; et, d’autre part, ceux décrivant la situation environnementale comme exagérément catastrophiste ou infondée. En appui sur les consensus scientifiques internationaux cités dans l’introduction de cet article, il semble possible de passer outre ces derniers types d’argumentaires, tant ils paraissent relever d’une doxa provocatrice allant à l’encontre de tous les constats, toutes les mesures, les observations et les démonstrations scientifiques internationales sur la question.

[22] Esther Chan, « Australia bushfires spark ‘unprecedented’ climate disinformation », phys.org, 10 janvier 2020, https://phys.org/news/2020-01-australia-bushfires-unprecedented-climate-disinformation.html

[23] « Il est incontestable que, de nos jours, les épidémies émergent plus fréquemment, se répandent plus rapidement et plus loin qu’auparavant (…). Les facteurs explicatifs sont nombreux et divers : l’intensification de la mobilité humaine et mercantile, la multiplication des conflits, les changements dans les pratiques agricoles ou de production alimentaire, l’urbanisation, la démographie ou encore les conditions de vie jouent un rôle dans l’amplification de la transmission », Margaux Mathis, Sylvie Briand, « Le changement climatique, les épidémies et l’importancede la médecine des voyages », Revue Médicale Suisse, volume 15, 2019, pp.898-900. Voir aussi et surtout le rapport de l’Intergovernmental Science-Police Platform on Biodiversity and Ecosystem Services (IPBES) sur la question : P. Daszak et al., Workshop Report on Biodiversity and Pandemics of the Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services, IPBES secretariat, Bonn, Germany, 2020. DOI:10.5281/zenodo.4147317. https://ipbes.net/sites/default/files/2020-12/IPBES%20Workshop%20on%20Biodiversity%20and%20Pandemics%20Report_0.pdf

[24] « Il y a peu, le département de philosophie d’une grande université m’a invité à participer à un colloque sur les « Réactions éthiques face aux menaces environnementales » – ou quelque chose du genre –, pendant lequel j’ai été forcé d’assister à plusieurs (…) interventions qui présentaient les solutions moralement correctes à des problèmes tels que la faim dans le monde, les espèces en voie de disparition ou la diminution des ressources. J’ai pu voir qu’un bon nombre des auditeurs étaient aussi abasourdis que moi par ces conférences (…) : comment en effet pourrait-on attendre des gens qu’ils soient moraux, alors que la majorité d’entre eux ne peut envisager le moindre lien entre ces sujets et leur propre vie ni concevoir que leur comportement personnel puisse avoir un impact dessus ? » Kirkpatrick Sale, L’art d’habiter la Terre. La vision biorégionale, Marseille, Wildproject, 2020, p.87.

[25] Ibidem, p.88.

[26] Ingénieur et philosophe ayant travaillé un temps avec Illich sur l’idée de « seuil de contreproductivité » et auteur du remarqué Pour un catastrophisme éclairé : quand l’impossible est certain, Paris, Seuil, 2004.

[27] Olivier Rey, Une question de taille, Paris, Stock, 2014. 

[28] Thierry Paquot, Mesure et démesure des villes, Paris, CNRS, 2020.

[29] « Car, après tout, moins nous en savons sur la nature, et plus il nous est difficile de la sauver pour ce qu’elle est en elle-même, intrinsèquement – et même de considérer que nous avons tout simplement le devoir de la sauver. En réalité, si nos connaissances sont limitées, il peut se révéler difficile de valoriser la nature, ne serait-ce que de façon instrumentale. Comment pourrions-nous valoriser correctement une réalité que nous ne connaissons pas correctement ? »Holmes Rolston III, « Nature réelle : la nature est-elle une construction sociale ? », trad. Hicham-Stéphane Afeissa et Pierre Madelin, dans Holmes Rolston III, Terre objective. Essais d’éthique environnementale, Paris, Dehors, 2018, p.261-262.

[30] Concept défini par Günther Anders, notamment dans L’obsolescence de l’homme, Paris, L’Encyclopédie des Nuisances, 2001 (p.292 et suivante). Le philosophe définit simplement cette idée dans un entretien donné plusieurs décennies plus tard : « J’appelle “supraliminaires” les événements et les actions qui sont trop grands pour être encore conçus par l’homme » ; Günther Anders, Et si je suis désespéré que voulez-vous que j’y fasse ?, Paris, Allia, 2010, p.71.

[31] Hans Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique (1979), Paris, Flammarion, 2013.

[32] « Mon affirmation est que par suite de certains développements de notre pouvoir l’essence de l’agir humain s’est transformée ; et comme l’éthique a affaire à l’agir, l’affirmation ultérieure doit être que la transformation de la nature de l’agir humain rend également nécessaire une transformation de l’éthique » Hans Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique (1979), Paris, Flammarion, 2013, p.21

[33] « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la Permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; ou pour l’exprimer négativement : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie » ; ou simplement : « Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre » ; ou encore, formulé de nouveau positivement : « Inclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir » Hans Jonas, Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique(1979), Paris, Flammarion, 2013, p.40

[34] Voir Jean-Cassien Billier, Introduction à l’éthique, Paris, PUF, 2014.

[35] Dominique Lestel, L’animalité : essai sur le statut de l’humain, Paris, Hatier, 1996.

[36] Sue Donaldson, Will Kymlicka, Zoopolis. Une théorie politique des droits des animaux, Paris, Alma, 2016. 

[37] Corine Pelluchon, Manifeste animaliste. Politiser la cause animale, Paris, Alma, 2017.

[38] Peter Singer, La libération animale (1975), Paris, Payot, 2012.

[39] « Et si le nouveau type de l’agir humain voulait dire qu’il faut prendre en considération davantage que le seul intérêt « de l’homme » – que notre devoir s’étend plus loin et que la limitation anthropocentrique de toute éthique du passé ne vaut plus ? (…) Cela voudrait dire chercher non seulement le bien humain mais également le bien des choses extra-humaines, c’est-à-dire étendre la reconnaissance de « fins en soi » au-delà de la sphère de l’homme (…). Aucune éthique du passé (mise à part la religion) ne nous a préparés à ce rôle de chargés d’affaires – et moins encore la conception scientifique de la nature. Cette dernière nous refuse même décidément tout droit théorique de penser encore à la nature comme à quelque chose qui mérite le respect puisqu’elle réduit celle-ci à l’indifférence de la nécessité et du hasard et qu’elle l’a dépouillée de toute la dignité des fins. Et pourtant : un appel muet qu’on préserve son intégrité semble émaner de la plénitude du monde de la vie, là où elle est menacée. » Hans Jonas, Le principe responsabilité (1979), Paris, Flammarion, 2009, pp.34-35.

[40] Aurélien Barrau, conférence au Global Positive Forum, 3 décembre 2019. 

[41] « Depuis un an ou deux je me pose des questions et je prends toute occasion de rencontrer des scientifiques pour soulever ces questions, en particulier : « pourquoi faisons-nous de la recherche scientifique ? ». Et la chose extraordinaire c’est de voir à quel point mes collègues sont incapables de répondre à cette question. En fait, pour la plupart d’entre eux, simplement, la question est si étrange, si extraordinaire, qu’ils refusent même de l’envisager ; en tout cas ils hésitent énormément à donner une réponse, quelle qu’elle soit. » Alexander Grothendieck, Conférence au CERN, 1972

[42] Etant entendu en cela qu’« il importe de ne pas confondre « recherche architecturale » et « recherche par le projet », pour autant, a minima, que la discipline architecturale ne saurait se résoudre à l’activité de projet. », Mathias Rollot, La recherche architecturale. Repères, outils, analyses, Montpellier, L’Espérou, 2019, p.281.

[43] « [#Coronavirus] Bruno Canard : « La science ne fonctionne pas dans l’urgence et l’immédiat », entretien avec Benjamin Grinda, Jeudi 19 mars 2020, La Marseillaise.fr

[44] Article L. 952-2 du code de l’éducation, reprenant l’article 34 de la loi d’orientation de l’enseignement supérieur no 68-978 du 12 novembre 1968

[45] Frédéric Brechenmacher & Michaël Foessel, « Argumentaire du séminaire « éthique de la recherche », Laboratoire interdisciplinaire d’humanités et de sciences sociales de l’X (LinX), Paris, 2017.

[46] « Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde ». Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948.

[47] http://www.fondation-droit-animal.org/la-fondation/declaration-universelle-droits-de-lanimal/

[48] https://www.lemonde.fr/planete/article/2017/03/20/la-nouvelle-zelande-dote-un-fleuve-d-une-personnalite-juridique_5097268_3244.html

[49] Chloé Gautrais, Responsabilité de l’architecte face à l’urgence écologique. Impact des problématiques environnementales dans la pratique de la maîtrise d’oeuvre, mémoire d’Habilitation à la Maîtrise d’Oeuvre en son Nom Propre, sous la direction de Julien Choppin, Ecole d’Architecture de la Ville et des Territoires Paris-Est, 2020, p.29.

[50] Platon, Ménon, env. -390/-380 av. J-C., 80 e.

[51] « Le paradoxe de la recherche, entamé par Platon dans le Ménon, se situe aujourd’hui dans un programme de recherche où tout serait déjà dévoilé, transcrit dans ses lignes majeures, comme si un tel processus était d’emblée sous le signe de la nullité, ou de la neutralité, en se limitant à exploiter ce qui était acquis dès le début. On cherche, en somme, ce que l’on a déjà trouvé, de manière que l’on aurait pu se dispenser de chercher. […] Le projet de recherche doit être plus qu’un projet pour devenir acceptable par ses pairs. Il s’agit plutôt d’un rapport où la recherche est déjà balisée, orientée, de préférence en respectant les contraintes du jour avec une habileté diplomatique. […] Il s’agit de payer à l’avance conceptuellement les crédits sonnants et trébuchants que l’on estime vous accorder, avec magnificence, d’après votre mérite et votre excellence. » Edmundo Morim de Carvalho, Paradoxe sur la recherche – I. Sérendipité, Platon, Kierkegaard, Valéry. Variations sur le paradoxe 5, Volume 1, Paris, L’Harmattan, 2011, p. 9.

[52] Jean-François Lyotard, La Condition postmoderneRapport sur le savoir, Paris, Minuit, 1979.

[53] « Je pense que notre travail est de faire que l’Anthropocène soit aussi court / mince que possible et de cultiver, les uns avec les autres et dans tous les sens imaginables, des époques à venir capables de reconstituer des refuges. » Donna Haraway, https://www.multitudes.net/anthropocene-capitalocene-plantationocene-chthulucene-faire-des-parents/

[54] Jacques Monod, Le Hasard et la Nécessité : Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Paris, Seuil, 1970.

[55] L’éthique a-t-elle une chance dans un monde de consommateurs ?, Paris, Flammarion-Climats, 2009, p.77.

[56] « D’un philosophe ceci est le pathos : l’étonnement. Il n’existe pas d’autre origine de la philosophie. », Platon, Théétète, 155d

[57] Louis de Mailly, Les Aventures des trois princes de Serendip et Voyage en sérendipité, éditions Thierry Marchaisse, 2011, p. 219.

[58] Sylvie Catellin, Sérendipité. Du conte au concept, Paris, Seuil, 2014.

[59] Edith Hallauer, Du vernaculaire à la déprise d’œuvre : Urbanisme, architecture, design, Thèse de doctorat sous la direction de Thierry Paquot, soutenue en décembre 2017 à Paris Est.

[60] Jeremy Till, Architecture Depends, MIT Press, 2013, p.164.

[61] Voir notamment, pour une tentative d’ouverture sur les différentes acceptions du terme « architecture » : Mathias Rollot, « Idéaux architecturaux », Les territoires du vivant. Un manifeste biorégionaliste, Paris, François Bourin, 2018, pp.49-82.

[62] Frédéric Bonnet, Extension du domaine de l’urbanisme, Marseille, Parenthèses, 2014.

[63] cf. Jeremy Till, Architecture Depends, MIT Press, 2013

[64] « Transmettre », Dominique Gauzin-Müller, dans Matthieu Fuchs, Julien Mussier, Construire avec le bois, Paris, Le Moniteur, p.8.

[65] « Si le design est avant tout une injonction à la consommation, alors nous devons rejeter le design ; si l’architecture est avant tout la mise en forme des modèles bourgeois de la propriété et de la société, alors nous devons rejeter l’architecture ; si l’architecture et la planification urbaine sont avant tout la reproduction de l’injustice des divisions sociales présentes, alors nous devons rejeter la planification urbaine et ses villes… Jusqu’à ce que toutes les activités de conception soient tournées vers la satisfaction des besoins premiers. D’ici là, le design doit disparaître. Nous pouvons vivre sans architecture » Adolfo Natalini (Superstudio), AA School of architecture lecture, London, 3 March 1971.

[66] Mathias Rollot, Critique de l’habitabilité, Libre & Solidaire, 2017.

[67] Panos Mantziaras, « Pour une épistémologie de l’architecture », dans Jean-Louis Cohen, L’architecture : entre pratique et connaissance scientifique : actes de la rencontre du 16 janvier 2015 au Collège de France, Paris, Editions du Patrimoine, 2018.

[68] Jean-Cassien Billier, Introduction à l’éthique, Paris, PUF, 2014.

[69] Ruwen Ogien, L’éthique aujourd’hui. Maximalistes et minimalistes, Gallimard, 2007.

[70] Zygmunt Bauman, L’éthique a-t-elle une chance dans un monde de consommateurs ?, Paris, Flammarion-Climats, 2009, p.56

[71] Ibidem, p.76

[72] Lesley Hughes, « Quand la catastrophe planétaire est notre boulot quotidien », Terrestres, 14 octobre 2018