Tentatives d’écoute, d’accompagnement et d’ouverture // Antoine Bégel

Compte-rendu de conférence, mardi 9 mars 2021, ENSArchitecture Nancy.

Antoine Bégel est architecte chez Commune à Lyon, doctorant au laboratoire GERPHAU et enseignant à l’ENSA de Clermont-Ferrand.

« Puisque tout est fini alors tout est permis »[1] est l’entrée en matière d’Antoine Bégel et, puisque tout est permis, il nous invite à déplacer nos manières de faire et d’être pour « Décoloniser nos vies et nos imaginaires ». À partir de trois projets réalisés par l’atelier Commune auquel il participe – une étude urbaine et patrimoniale à Chânes, une restauration d’édifice industriel et réalisation d’aménagements urbains à Thiers, et la réhabilitation d’un grenier à foin en habitation à Lantenay -, Antoine Bégel nous raconte trois de leurs tentatives de déplacements, correspondant à trois échelles de projet différentes. Il nous partage les prémices d’un désir de faire ; « non pas pour limiter, tuer, recouvrir, oublier, exclure ou posséder, mais pour écouter, partager, accueillir, inclure, enrichir, révéler, réparer, accompagner, ouvrir… »[2], et explique aussi les embuches qui l’accompagnent.

Le collectif Commune, composé de huit personnes, cherche à construire une architecture sans dominer les habitants et les artisans, et à sortir d’une attitude totalitaire en n’imposant pas de manière de faire. Pluriprofessionnel (chercheurs, praticiens, enseignants), il se sert de la diminution – des coûts, des moyens de transports, de la production de matériaux… – comme d’un levier pour imaginer et inventer de nouvelles formes et de nouveaux processus. La volonté de pratiquer l’architecture différemment pousse ces professionnels à repenser nos manières de faire de l’architecture : leur atelier propose de se détacher du schéma ternaire « pré-moderne, moderne, postmoderne » qui oriente notre lecture de la production architecturale, et de s’écarter des règles de l’architecture « internationale », pour pratiquer local et construire une conception basée sur le récit intégrée à l’économie sociale et solidaire. Cette réinvention du métier d’architecte les amène à « construire peu mais mieux » et, dans le contexte d’urgences actuel, à requestionner les certitudes et les façons de construire. Leur architecture « simple » et tournée vers son environnement, au travers du dessin des détails et par les usages qu’elle rend possibles, s’enrichit d’une pratique locale, qu’elle soit matérielle ou attachée à des savoir-faire. Amené à réaliser des aménagements urbains à Thiers par exemple, l’atelier d’architecture propose de travailler avec les matériaux issus de bâtiments effondrés présents au sein de la commune. À Chânes, la richesse de l’intervention consiste en l’identification et la mise en œuvre des ressources locales, autant en termes de matériaux qu’en terme d’histoire, et d’une auto-construction.

Au travers de la présentation de leur travail, nous comprenons aussi que, par-delà les questions matérielles, ce sont les rumeurs et les récits des habitants qui constituent l’attachement d’un village, ou d’une ville, à son territoire. En pensant celui-ci comme un bien commun qu’il faut enrichir, révéler et rendre plus hospitalier, Antoine Bégel réinterroge la charge existentielle de l’architecture. Par ailleurs, repenser l’architecture dans une économie sociale et solidaire, c’est repenser la manière même de faire du projet. Ainsi, la simplicité recherchée est prétexte à produire des dessins, des outils graphiques et de conception accessibles par le plus grand nombre.

Par ailleurs, le dessin axonométrique restituant l’ensemble du village de Chânes grâce à un point de vue éloigné, la coupe-perspective détaillée à Thiers qui explique le système racinaire d’un arbre, ou encore les lettres-récit écrites par les habitants de la maison à Lantenay, font naître des échanges collectifs, amènent les habitants à réagir ou lancent des débats. Au travers des discussions qui se créent autour de ces outils ou dans ces chantiers-écoles, Commune cherche à construire du « commun », tant à l’échelle de la ville qu’au sein même de l’atelier d’architecture ou qu’entre les habitants d’un même projet de maison. Ainsi, pour ce collectif, comprendre les attentes et les envies des habitants pour initier une conception qualitative et attentive d’un projet c’est aussi enrichir et faire évoluer la pratique même du métier d’architecte. Bien que les divers outils de travail proposés n’aboutissent pas toujours à un projet construit, ils permettent une chose essentielle : prendre son temps pour la réflexion. Ainsi, ce que nous montre l’intervention d’Antoine Bégel, c’est comment sortir de l’urgence et gagner du « temps » : en passant du temps avec les choses et les gens, réussit-on à faire penser les habitants ?


[1]  Collectif Catastrophe, « Tout est fini alors tout est permis », Libération, TRIBUNE, publié le 22 septembre 2016, disponible sur : https://www.liberation.fr/debats/2016/09/22/puisque-tout-est-fini-alors-tout-est-permis_1506625/

[2]  BEGEL Antoine